ZONES HUMIDES UN RÔLE À DÉFENDRE
Comme tous les zonages environnementaux, les inventaires de zones humides suscitent des craintes quant à l'usage qui en sera fait. L'agriculture est la seule activité économique nécessaire à la préservation de ces milieux. Son rôle doit être reconnu.
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Réunion dans la salle des fêtes d'un village. Agriculteurs et élus locaux sont venus s'informer sur l'inventaire des zones humides réalisé sur le territoire. Une carte est déroulée. En vert, les zones humides ; en hachuré, celles qui présentent des « enjeux particuliers ». Surprise : certains reconnaissent des parcelles pâturées... voire des parcelles cultivées ! Cependant, le règlement qui se rapportera à ce zonage n'est pas encore élaboré. Le public est invité à donner son avis sur un zonage, sans savoir à quoi il va servir ! « En soi, l'inventaire des zones humides ne gêne personne. Mais déterminer des enjeux de biodiversité dans des zones cultivées va poser problème, remarque un agriculteur. On peut sanctuariser les sites à fort enjeu biodiversité mais, là où il y a une activité économique, c'est cette activité qu'il faut sanctuariser ! »
Aux quatre coins de l'Hexagone, des inventaires de zones humides ont été réalisés ou sont en cours. Si ces milieux sont ainsi chouchoutés, c'est parce qu'ils remplissent des fonctions précieuses : réservoir exceptionnel de biodiversité, épuration de l'eau (notamment dénitrification), zone tampon de crues et d'étiage. Tout le monde est à peu près d'accord pour préserver les sites emblématiques comme la Camargue et le marais poitevin, reste à définir comment. Mais d'autres sols, à la limite de la définition réglementaire des zones humides, se retrouvent soumis à leur régime juridique avec son cortège d'interdits. La profession ne désespère pas de faire fléchir le ministère de l'Ecologie. En attendant, c'est sur le terrain qu'a lieu le débat.
La solution peut être, comme dans le Finistère, d'élaborer un cahier des charges en associant les différents acteurs des territoires pour donner un cadre de référence commun à la réalisation des inventaires. Mais parfois, on découvre du jour au lendemain qu'on a des terres classées en zone humide. Or en l'absence d'harmonisation nationale, « certains bureaux d'études se lâchent et classent des sols parce qu'il y a des traces d'hydromorphie, même sans végétation hygrophile », déplore Joseph Ménard, vice-président de la commission environnement de l'APCA.
Etre classé en zone humide ne présente pas que des inconvénients : cela protège de l'urbanisation. Cet argument est néanmoins à double tranchant : chaque projet d'aménagement impactant une zone humide doit être compensé. La destruction d'un hectare de zone humide peut ainsi entraîner la mise en oeuvre de mesures compensatoires sur deux hectares agricoles. En outre, « pour certaines collectivités locales, le classement en zone humide est un argument pour imposer les pratiques qu'elles souhaitent aux agriculteurs », relève Joseph Ménard.
INQUIÉTUDES
Les agriculteurs, en tout cas, s'inquiètent. « Quand on demande à l'administration s'il y aura des contraintes imposées sur ces zones, elle ne le sait pas. Et quand on veut savoir s'il y aura des compensations en cas de contraintes, elle ne le sait pas non plus », explique Yves François, agriculteur et élu à la chambre d'agriculture de l'Isère et au Conservatoire des espaces naturels, l'organisme en charge de l'inventaire. Quand, en plus, des erreurs sont repérées, la contestation enfle.
En théorie, il est possible de « sortir » des parcelles de l'inventaire en fournissant de nouvelles études. Mais, en pratique, les maires ne sont guère enclins à les financer. De toutes façons, le jeu n'en vaut pas la chandelle, à en croire la DDT de l'Isère : « L'inventaire départemental n'a pas vocation à être transposé à la parcelle. Il n'a en soi aucune valeur réglementaire mais sert à alerter l'administration lorsqu'un projet de construction risque d'impacter une zone humide. » Pour les travaux réglementés, la DDT vérifie systématiquement si le projet concerne une zone humide avant de donner – ou pas – son autorisation. « Si l'on se trouve dans l'inventaire départemental, il y a une suspicion de zone humide, explique la DDT. Ce sera au demandeur de faire une étude pour prouver, le cas échéant, que ce n'est pas le cas. » Quant à l'usage qui sera fait de ces zonages, « pour l'instant, rien ne permet de dire qu'il faudra modifier les pratiques ».
MÊME LONGUEUR D'ONDES
Où que ce soit, les agriculteurs verbalisés aujourd'hui par la police de l'eau le sont vis-à-vis de réglementations qui existaient avant les inventaires. Ces derniers servent seulement à signaler si on se trouve en zone humide. Mais ils ne sont pas forcément exhaustifs. Il y a toujours un risque de se faire verbaliser, si l'on entreprend des travaux interdits en croyant, à tort, ne pas être concerné !
En Saône-et-Loire, la profession et l'administration ont donc préféré plancher ensemble sur un diagnostic partagé de ce qu'est ou non une zone humide. Dans un département où les zones humides, selon le critère « sol », pourraient représenter 120 000 ha, l'interprétation des textes est sujette à contentieux. « On ne voulait pas que le climat devienne détestable, explique Lionel Borey, élu à la chambre d'agriculture. On a donc travaillé en amont pour se donner des clés d'interprétation communes entre l'administration, les entreprises travaillant sur les réseaux hydrauliques, les agriculteurs et les collectivités. Maintenant, lorsque quelqu'un envisage une intervention sur ses terres, tout le monde est sur la même longueur d'ondes. » Les points de blocage de la réglementation ont été examinés. Un consensus a été trouvé et une charte signée en septembre 2011. « C'est un guide pour clarifier ce qu'est un fossé ou un cours d'eau, ce qu'on peut réaliser avec ou sans déclaration, etc., explique Bertrand Dury, écologue à la chambre d'agriculture. La charte a aussi validé la possibilité d'entretenir les fossés sur la base de l'existant, ce qui auparavant avait donné lieu à des procès verbaux. »
Au-delà de la réglementation sur l'eau, une multitude d'enjeux peuvent venir se greffer sur les inventaires. D'autant qu'ils se superposent à d'autres zonages : trames verte et bleue, Natura 2000, etc.
Dans la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d'Armor, l'inventaire des zones humides est repris dans le cadre du plan algues vertes, qui fixe parmi ses objectifs de « reconquérir les zones humides cultivées ». Entendre par là : les convertir en prairie. « Certains espaces inventoriés comme zones humides sont aujourd'hui cultivés, explique Benoît Ribardière, qui suit le dossier à la chambre d'agriculture. A l'horizon 2015, la moitié devra être remise en herbe. » Aujourd'hui, les agriculteurs de ces zones peuvent s'engager volontairement dans une démarche individuelle aidée (couverts végétaux, limitation de la fertilisation, conversion en prairie…). « Mais si en 2015 les résultats ne sont pas satisfaisants, on risque de passer en réglementaire, indique Benoît Ribardière. Et on craint de voir les contraintes se généraliser. » Et plus il y a de terres classées en zones humides, plus l'objectif de 50 % reconverties en prairies sera difficile à atteindre. « Or la décision de classer un sol se joue parfois à quelques centimètres… Il suffit de trouver des traces de rouille dans les 25 premiers centimètres du sol. » La délimitation des zones humides est un sujet de débat, leur gestion en est un autre. Pour prendre les devants, Bruno Roussel, agriculteur et président du syndicat mixte pour le Sage (1) de la Canche, en Artois- Picardie, propose de classer en zones humides tout ce qui correspond aux critères réglementaires mais en distinguant trois sous-zonages : naturel, agricole, urbanisé. Et en élaborant un règlement adapté aux enjeux de chaque sous-zonage. « Pour les zones humides agricoles, on doit faire inscrire noir sur blanc dans le règlement que l'activité agricole est protégée », espère-t-il. Pour Joseph Ménard, à l'APCA, l'idée serait aussi d'ajuster le curseur en fonction des enjeux écologiques. « Quand ils sont modérés, il faudrait pouvoir continuer à assainir les parcelles par un drainage raisonné. Quand ils sont plus forts, laisser les sols en l'état et mettre en place des pratiques adaptées. »
La réalisation d'un inventaire des zones humides n'entraîne pas systématiquement une avalanche de contraintes. Il peut servir à mieux accompagner les agriculteurs. Comme ceux du plateau de l'Aubrac lozérien, avec le programme d'actions « zones humides » lancé en 2008. Celui-ci comporte un volet sensibilisation (visites de fermes, fête de la transhumance...) et un volet plus technique ciblé sur les agriculteurs. « A travers des visites de parcelles, on cherche ensemble des moyens de répondre aux besoins de la production tout en préservant le milieu », détaille Anne-Claire Guénée, chargée de l'animation du programme au sein de l'association Copage. « Il peut s'agir de créer un nouveau point d'abreuvement pour éloigner les animaux d'une zone mouillée, lorsqu'elle risque d'être abîmée par leur piétinement. Des aides sont apportées par l'agence de l'eau et l'Europe. »
Dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, l'inventaire des zones humides réalisé en 2009-2010 a permis de proposer une nouvelle MAEt (mesure agroenvironnementale territorialisée), spécifiquement ciblée sur ces milieux. Auparavant, seuls les agriculteurs situés sur un périmètre Natura 2000 pouvaient souscrire des MAEt. « L'idée de la MAEt prairies humides est de ne pas imposer certaines pratiques mais de se baser seulement sur le résultat obtenu pour contrôler le respect de l'engagement, explique Julien Aït El Mekki, du parc naturel. Pendant les cinq ans que dure le contrat, on doit trouver dans la parcelle au moins quatre espèces répertoriées dans une liste d'espèces caractéristiques des zones humides, chaque territoire ayant sa propre liste. » Voilà pour l'obligation de résultat. Pour l'obligation de moyens, il suffit de respecter les exigences de base de la PHAE. « Pas d'engrais, pas de labour, pas de drainage… En gros, il faut laisser en l'état », résume Dominique Ducos, éleveur de charolaises, qui a engagé 4 ha de prairies humides pâturées. Pour ces parcelles peu productives, cette aide de 155 €/ha est bienvenue.
DES SERVICES À RÉMUNÉRER
Les aides pour les agriculteurs en zones humides paraissent cependant bien maigres. Dans la future Pac, la révision des critères délimitant les zones défavorisées entrebaille une porte. Mais cela resterait insuffisant. Une étude menée en 2009 sur le marais de l'Audomarois, dans le Nord-Pas-de-Calais, évaluait le surcoût lié aux contraintes spécifiques du marais autour de 500 €/ha. Pour les maraîchers, il était dû aux travaux d'entretien des berges et curage des fossés, tandis que les éleveurs accusaient surtout la perte de temps pour acheminer les animaux dans les parcelles, puis les travaux d'entretien et de pompage, et enfin le parasitisme. L'étude avait surtout permis de conclure que l'agriculture remplit une véritable mission de service public – non rémunérée – en entretenant le milieu. Avec les enjeux économiques, paysagers et identitaires qu'implique la dégradation des marais, les collectivités ont tout intérêt à garder des agriculteurs dans les zones de marais. Reste à s'assurer que leurs pratiques sont durables… et à les rémunérer.
C'est en quelque sorte l'objet de la convention signée en 2010 entre l'APCA et le ministère de l'Ecologie. « Notre travail consiste à intégrer un aspect économique dans la gestion des zones humides, explique Joseph Ménard. Le retour économique peut passer par la valorisation commerciale du produit (lire ci-contre) ou par des soutiens dans le cadre de démarches contractuelles. Il ne peut pas y avoir de réponse nationale, vu la diversité des milieux concernés. Un débat local permet de définir un cahier des charges adapté au territoire et d'évaluer les contraintes économiques pour demander un accompagnement financier adéquat. » L'APCA encourage ainsi le lancement de projets de territoire un peu partout (lire l'encadré p. 48). Les résultats de ces travaux pourraient constituer des arguments pour éviter de subir de nouvelles règles. Mais aussi pour obtenir des financements pour soutenir l'activité agricole. Car tout le monde l'admet : sans agriculteurs, ces milieux risquent de disparaître. Même l'acquisition de zones humides par des collectivités territoriales n'apparaît plus comme la panacée, puisqu'il faut entretenir le milieu, ce qui n'est pas gratuit. Il y a une carte à jouer.
(1) Schéma d'aménagement et de gestion des eaux.
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